Le manga est un phénomène incroyable qui continue à conquérir de nouveaux publics. A la base écrit par des Japonais pour un public japonais, il a, avec les années, pris de l’importance dans le monde entier. Mais, avant bien cette exportation culturelle massive, il représente un phénomène de société important au Japon qui a su, pour un pays assez conservateur, imposer sa bande dessinée à travers le globe. Proche derrière les États-Unis, la France s’impose comme le troisième consommateur de mangas au monde. Produit de consommation et/ou de collection, la relation que les Occidentaux et les Japonais ont avec le manga est assez différente. Direction, donc, le Pays du Soleil Levant.
Le manga : un phénomène de société.
Le manga est bien ancré dans la société japonaise. On peut être sûr que chaque Japonais lit, a déjà lu ou a déjà vu un manga au cours de sa vie. Que cela soit par les mangas, les animés ou leurs produits dérivés, le Japon respire à plein poumons cette culture littéraire si particulière. Entre l’érection d’un Gundam géant mobile à Yokohama et l’instauration d’un One Piece Tokyo Tower (un parc à thème sur One Piece) littéralement au pied de la Tokyo Tower, le manga fait partie homogène du paysage nippon.
Pourtant, le métier de mangaka, ou dessinateur de mangas, a longtemps été mal considéré par les Japonais, vu comme un métier sans en être vraiment un. Cet état d’esprit issu d’une ignorance collective, a fortement changé avec le temps et a permis au manga de vite gagner en popularité. C’est notamment l’importance que le manga commençait à acquérir aux yeux du monde entier qui a provoqué un tournant drastique, qui se manifeste aujourd’hui de plusieurs façons. Ainsi, le quartier d’Akihabara est passé, au fil des années, d’un quartier spécialisé dans la technologie à un quartier presque 100% touristique avec comme attrait principal pour les Japonais et les étrangers une spécialisation entièrement tournée sur les mangas et les anime. Les différentes collaborations entre marques nationales et étrangères en sont également un bon exemple : One Piece et Jojo’s Bizarre Adventure se retrouvent dans les collections fort populaires d’Uniqlo et celles plus dispendieuse de Gucci. Les marques japonaises comme étrangères ont vite compris que le manga peut représenter un bon support marketing et n’ont donc pas hésiter à y flairer la bonne affaire. Notre bande-dessinée occidentale, elle, reste encore trop enfermé dans son support de base et se montre très timorée face à ce genre de projet.
Sujet d’actualité, il ne faut pas non plus oublier l’importance que les mangas et leurs auteurs représenteront dans les prochains Jeux Olympiques qui doivent encore se dérouler à Tokyo. C’est une véritable consécration professionnelle pour ces mangakas. Cet appel aux allures d’effort national en vue de promouvoir le Japon et sa culture aux yeux du reste du monde montre bien que le Japon a une très haute estime de cette part de sa culturel et n’hésite pas à en faire son fer de lance médiatique. Le choix de Goku, du célèbre manga Dragon Ball d’Akira Toriyama, comme ambassadeur des Jeux Olympiques ainsi que les demandes faite envers les mangakas Hirohiko Araki (Jojo’s Bizarre Adventure) et Naoki Urasawa (20th century boys) pour l’élaboration du visuel des affiches pour les JO et des Jeux paralympique en sont les meilleurs exemples.
Le manga, un produit de consommation jetable.
Le manga au Japon est considéré d’une façon toute particulière qui est assez différente de la nôtre. Là où la plupart des acheteurs de manga en Occident veulent constituer leur propre collection, au Japon le manga adopte un cheminement assez divergent. Je suis le premier à considérer une collection de mangas comme une des plus belles choses à admirer, mais, au Japon, le manga est avant tout un produit de consommation jetable et non de collection durable. Bien évidement je ne dis pas qu’il n’y a pas de collectionneurs au Japon, mais la norme nippone est qu’un manga est un produit qu’on lit et qu’on jette, revend ou échange la plupart du temps. Il existe, au Japon, trois facteurs différents en lien avec ce phénomène : les magazines de pré-publication, le marché du manga neuf et le marché de manga d’occasion.
Il faut savoir qu’avant qu’un manga soit publié en livre relié, il est initialement pré-publié, chapitre par chapitre, dans un magazine de pré-publication tel que le Shônen Jump, Weekly Shônen Magazine, le Young Magazine, le Big Comic, etc… Ces magazines sont pour la plupart très abordables : un numéro du Weekly Shônen Jump coûte 290 yens soit environ 3.20$ CAD et contient une quinzaine de chapitres de mangas différents. Cette facilité d’accès est en grande partie responsable de l’essor que le manga a eu au Japon. Peu importe de quel milieu on vient, peu importe notre portefeuille, n’importe quel Japonais peut s’offrir le magazine qu’il souhaite. C’est quelque chose qui est assez unique et diverge du peu d’importance que la bande-dessinée revêt vis-à-vis du grand public en Occident. Majoritairement imprimée en grand format couleur, notre BD, est pour le coup vraiment moins abordable (généralement, il faut compter entre 15$ et 30$ pour un seul tome).
Son homologue japonais est imprimé sur du papier bas de gamme, recyclé et souvent de couleurs différentes. Les magazines de pré-publication laissent souvent à désirer tant au niveau qualité du magazine qu’au niveau de l’impression mais cela représente un choix volontaire de la part des éditeurs. Ce choix insolite permet au Japonais moyen de lire son magazine et de s’en débarrasser sans aucun regret (le livre sera recyclé).
Avec un mode de consommation similaire, le manga relié aborde une facette supplémentaire. Intimement liés l’un avec l’autre, les marchés neuf et d’occasion forment un cycle. Ce cercle d’usage est assez particulier. De meilleure qualité et de plus petit format que le magazine, le manga relié neuf reste assez facile d’accès. Généralement compris entre 300 yen (3,30$ CAD) et 500 yen (5,51$ CAD), celui-ci est généralement acheté le jour de sa sortie. C’est à ce moment que le marché du manga d’occasion entre dans la partie. Une fois lu, le manga acheté neuf finira, la plupart du temps, soit jeté, soit revendu dans une librairie de mangas usagés, la plus populaire étant bien évidement la compagnie Book Off qui, avec plus de 300 magasins répartis sur l’archipel, est spécialisée uniquement dans l’achat-vente de mangas usagés.
Le marché du manga d’occasion au Japon étant florissant, il est assez facile de s’imaginer le schéma classique de la vie d’un manga et d’un magazine de prépublication.
Achat d’un magazine de prépublication → lecture du magazine → jeté / recyclé.
Achat d’un manga relié → lecture du manga → revendu dans un magasin de mangas usagés → racheté par quelqu’un d’autre → lu de nouveau → revendu → etc, etc…
Le manga en version numérique
Depuis quelques années, une nouvelle forme de support a fait son apparition. Découlement logique de l’avancée technologique, des plateformes numériques de magazines de pré-publication ont commencé à voir le jour. Ces nouveaux supports rendent la vie dure aux magazines papier. Encore moins cher que le magazine, un abonnement mensuel permet un accès complet pour les membres à toutes les séries pré-publiées dans le-dit magazine. Le meilleur exemple sera l’application Shônen Jump, développée par la Shueisha. Même si la pré-publication a encore de beaux jours devant elle, notamment avec l’engouement que les mangas gagnent actuellement, les ventes papier commencent tranquillement à diminuer.
En 2019, c’est 4% de perte enregistrée pour le format papier contre une hausse de 24% pour les versions numériques. Toutefois, il ne faut pas non plus crier au loup trop vite puisqu’au jour d’aujourd’hui au Japon, c’est encore chaque semaine plus de 2 millions de tirages pour le Shônen Jump, ce qui nous montre que la version papier résiste encore et toujours à l’envahisseur numérique ! (rires)
Vous l’aurez compris, la manière dont le manga est perçu au Japon est assez différente de la perception que nous avons ici en Occident. Pour la plupart des Japonais, les mangas font partie de leur vie de tous les jours, ils représentent une part importante de l’économie et de la culture japonaise. Réussissant l’exploit de représenter le pays aux yeux du reste du monde avec les JO, le manga impose sa marque indélébile dans la culture du pays, c’est indéniable. Véritable produit de consommation jetable aux antipodes de notre façon de le consommer, de cette approche divergente, quelques questions subsistent.
Peut-on considérer le manga tel qu’il est perçu en Occident, comme étant un objet de collection et non uniquement de consommation, comme une appropriation littéraire bénéfique pour le manga ?
Préférant la plupart du temps acheter neuf afin d’embellir une collection personnelle, participons-nous de façon plus active, sur le long terme, à l’encouragement des mangaka que les Japonais qui achètent le plus souvent de seconde main ?
Est-ce que cette préférence de se tourner vers un support relié et physique sera ce qui sauvera le manga de sa version numérique grandissante au Japon ?
Je vous laisse le mot de la fin :).