Berserk, du haut de ses 8000 pages et de ses 40 tomes, c’est l’histoire d’un héros maudit ténébreux aussi puissant que tourmenté. Son auteur, Kentarô Miura, lui aura dévoué toute sa vie. Mais Berserk, c’est avant tout un récit d’une incroyable profondeur qui a su marquer par son originalité, sa violence et son scénario hors du temps. Kentarô Miura nous a quittés il y a peu, laissant derrière lui son héros Guts ainsi que des millions de lecteurs orphelins. Cher lecteur, rendons ensemble un dernier hommage à cet auteur d’exception.

L’essence même de la dark fantasy

Véritable fresque médiévale et épique dark fantasy, Berserk raconte l’histoire de Guts, un guerrier solitaire décidé à être seul maître de son destin, maudit par une mystérieuse marque démoniaque qui, à la nuit tombée, attire des démons sortis tout droit des pires enfers. Guts erre inlassablement avec un seul et unique but en tête : la vengeance. C’est accompagné de sa seule amie de longue date, la solitude, que celui-ci doit faire face à son triste destin, être inlassablement poursuivi, partout où il va, par une horde de démons. Cette fresque épique aux allures de récit apocalyptique est bien plus qu’un manga : Berserk peut représenter à lui seul la dark fantasy dans l’univers des mangas. C’est via un trait de crayon unique que Kentarô Miura dressera la toile d’un univers crépusculaire aussi vaste qu’étouffant. Utilisant la vengeance de son héros comme trame de fond, le mangaka dressera le portait de ce guerrier triste et violent qui donnera la mesure de la noirceur de l’œuvre. Véritable héros aux allures d’antihéros, sans cœur, émotions ni scrupule, Guts est un chien solitaire débordant de colère et de haine pour un monde qu’il exècre.

Cette vie solitaire prendra une toute autre direction lorsqu’il fera la rencontre de Puck, petit elfe de la race des elfes Pisky. Accompagné de son nouveau compagnon, Guts se lancera dans un tout nouveau voyage, celui de la rédemption. Ce cadre narratif particulier épouse tous les codes de la dark fantasy, tels que les châteaux forts, les armures, les épées, les combat et duels sanglants, mais sera aussi celui des rois fous, des inquisiteurs sadiques et des papes illuminés. Mais c’est avant tout la présence du merveilleux qui permettra au lecteur de se plonger au maximum dans la saga. A travers cette toile mythologique foisonnante de détails, de démons aux mille et un visages, de monstres gigantesques mythologiques, de chevaliers déchus et corrompus, Kentarô Miura a laissé libre cours à sa démesure. Il est arrivé, par son trait fin incarnant la rage pure et la colère de son héros, à nous faire voir la fragilité des valeurs humaines vis-à-vis de la mort mais aussi les atrocités qui y mènent, certains passages pouvant marquer la rétine du lecteur au fer rouge.

Les inspirations de l’auteur

L’histoire :

Le tome 3 marque le début du premier vrai arc narratif de la série. Cet arc narrant la naissance, l’enfance et l’adolescence de Guts se base sur la Guerre de 100 ans entre l’Angleterre et la France (14e-15e siècle). L’arc de l’âge d’or de Berserk suit Guts alors qu’il combat dans une célèbre troupe de mercenaires, la Troupe du Faucon, dirigée par son meilleur ami Griffith. Ils sont engagés dans une guerre qui dure depuis plus d’un siècle, menée entre les nations fictives de Midland et Chuder, qui, faute d’effectifs, se tourne vers l’embauche de mercenaires. Point névralgique et important de l’arc, puisqu’on suit les différents mouvements de front en front de la Troupe du Faucon. L’armement utilisé est également inspiré de celui utilisé durant la Guerre de 100 ans (armures de plaques, épées, canons, arbalètes et cavalerie à lances lourdes)

Un peu plus tard dans la série, un envahisseur nébuleux sera mis en avant, l’Empire des Kushan, inspiré de la religion et de la culture indiennes. Des armes comme le katar et l’urumi sont utilisées, tandis que les éléphants de guerre sont au cœur de leur cavalerie lourde. Des concepts religieux hindous tels que Pishacha, Sadhu, et Kundalini sont adaptés dans le récit de Berserk. Kentarô Miura fait clairement référence à l’empire Koushan qui a régné, à son apogée, du Tadjikistan à l’Afghanistan et même à la vallée du Gange en Inde.

L’inquisition et ses atrocités sont aussi au centre de l’intrigue. Ne portant pas la religion dans son cœur, Miura mettra en avant cette période de l’Église catholique sous un jour fort peu attirant. Cet aspect de l’Europe médiévale, c’est avec le personnage de Mozgus, inquisiteur de profession, qu’il sera le mieux représenté. Cette inquisition, qui ciblait les personnes dont les traditions religieuses, les pratiques sexuelles, ou les emplois étaient jugés inappropriés, punissait de mort ces derniers. L’inquisition prendra forme dans l’oeuvre à travers Mozgus et sa foi aveugle et fanatique. Il ‘’s’occupera’’ des gens dont les difformités physiques les rendent importuns pour la société, et il torture aussi un nombre incalculable de personnes sans regret. Ce personnage détestable à souhait, mais pourtant empli de véracité historique, était un antagoniste de choix à confronter à notre guerrier solitaire. C’est d’ailleurs avec cette réticence pour la religion et les dogmes que l’auteur décidera de créer un chapitre sans jamais le publier en version reliée. Intitulé Le Chapitre Perdu, ce chapitre 83 inédit long de 20 pages, est somme tout assez particulier. Il faut le lire entre les tomes 12 et 13 de la série. Il met en avant une rencontre spirituelle entre Griffith et le surnaturel divin. Jugé trop révélateur selon lui, l’auteur ne le publiera jamais officiellement.

Le cinéma, l’art et la littérature

Directement inspiré de films d’horreur, de science-fiction ou de dark fantasy, Kentarô Miura est allé piocher énormément dans le cinéma. Hellraiser a donné à l’auteur l’idée d’invoquer des êtres divins sadiques et suprarationnels, qui relèvent d’une dimension parallèle et réussissent à s’immiscer dans notre monde grâce à un objet clé, un cube dans Hellraiser et le béhérit dans Berserk.
Le costume de Griffith est inspiré du film Phantom of the paradise, de Brian de Palma.
Miura a également repris le traitement de la religion présent dans le film Le nom de la rose de Jean-Jacques Annaud. On notera également la présence de la maison aux escaliers d’Escher présente dans le film et dans le manga.

Véritable cinéphile confirmé, il va sans dire que c’est également dans les arts que le mangaka a trouvé inspiration. MC Escher et Jérôme Bosch sont deux grands noms de l’art qui l’ont beaucoup influencé. MC Escher avec son fameux labyrinthe sera le terrain de jeu et de présentation des God Hands, ces êtres divins maléfiques et sadiques. Jérôme Bosch influencera la direction et l’écriture du manga par ses toiles psychédéliques peuplées de créatures les plus incroyables les unes des autres. Kentarô Miura ira même jusqu’à constituer l’Enfer du Jardin des Délices de Bosch, l’auteur allant jusqu’à représenter le God Hand Ubik assis autour d’une table comme s’il avait toujours été le témoin passif, discret et muet, de l’œuvre de Bosch.

Les noms de certains des personnages de Berserk tirent leur source quant à eux de la littérature. Les noms des quatre God Hand, par exemple, sont inspirés de différents romans : Void tire son nom de l’excellent Destination Void de Frank Herbert ; Conrad est inspiré du roman de Toi, l’immortel de Roger Zelanzny, faisant référence à son héros du même nom ; Slan vient du roman Slan d’A.E. Van Vogt ; et finalement Ubik est un clin d’œil au maître de science-fiction Philip K. Dick, s’inspirant directement du roman du même nom.

D’un autre point de vue, Devilman, de Go Nagai, a été source d’inspiration pour Berserk. L’œuvre sombre mettant en avant la noirceur de l’âme humaine et sa cruauté qu’est Devilman, a fortement influencé Miura, les deux mangas puisant tous deux dans les mêmes thématiques. L’existence des démons, la transformation d’Akira (le héros de Devilman) en demi-démon lors d’une messe noire trouveront fortement écho dans Berserk avec son terrible et insoutenable tome 12. Akira et Guts perdront tous les deux foi en l’humanité et seront en permanence impliqués dans un tumultueux dilemme d’ordre personnel : être capable de garder une humanité coûte que coûte sans jamais franchir leur point de non-retour. Afin de protéger cette humanité au péril de leur vie, afin de combattre ces démons qui leur barreront leur route, ils devront l’un comme l’autre en devenir un (un démon). On reconnaît là plusieurs éléments narratifs communs aux mangas de Nagai et Miura. Devilman est très certainement le manga ayant le plus fortement influencé Kentarô Miura.

Et maintenant ?

Si tu es comme moi un fan de la série, tu dois probablement te demander ce que deviendra le manga Berserk. Quel tournant l’aventure va-t-elle prendre ? Qu’est-ce que le futur réservera à la série ? On pourrait penser que la série s’arrêterait là, que la mort de son auteur signerait de facto la fin de son œuvre, ce qui pourrait être justifiable. Mais j’ai tendance à croire que l’auteur, dans sa bienveillance naturelle, a pensé à ses millions de lecteurs, pourrait avoir divulgué la fin de son manga à un proche, un éditeur ou à l’un de ses assistants. Cette lueur d’espoir s’est présentée le jour même de l’annonce publique du décès du mangaka, où l’un de ses assistants à tweeté sur son compte personnel ces quelques mots : ” Oui, je ferais de mon mieux.”

Ces quelques mots ont eu l’effet d’une explosion au sein de la communauté. Cette lueur d’espoir qui n’a pourtant rien d’officiel représente tout ce que les fans demandent: une fin à la série.
Et pour ceux qui douteraient des compétences et de la pertinence des assistants de l’auteur à reprendre la série, je vous invite à aller jeter un coup d’œil au dernier projet mis en place et supervisé par Kentarô Miura et écrit par ses assistants : Duranki. Ce début de manga aux allures de Berserk est un manga uniquement dessiné par les assistants du maître. J’espère de tout cœur que cette initiative aura bel et bien lieu et qu’on pourra un jour connaître la fin de cette pièce maîtresse du manga qu’est Berserk.

Un mélange d’émotions me submerge lors de l’écriture de cette chronique. Berserk est un manga incroyable dessiné et maîtrisé par une plume de maître par un mangaka, un homme encore plus incroyable. Je ne saurais décrire à quel point cette œuvre aura réussi, comme pour de nombreux lecteurs, à me marquer. Berserk fut un des premiers mangas que j’ai lus, il représente mes premiers pas dans l’univers du manga et c’est avec mélancolie et nostalgie que je tente de penser à ce que cet homme que j’admire tant a pu ressentir, assis à son bureau, écrivant une histoire si dense, si sombre et si vaste. Histoire qu’il a rendu suffisamment riche et complexe pour passer une vie entière à l’écrire.
C’est avec une grande tristesse et un profond respect que je m’incline aujourd’hui. Je m’incline, Kentarô Miura, devant votre travail, devant votre passion, devant votre génie. Miura-sama, vous emportez probablement avec vous le dénouement de votre œuvre, mais vous partez surtout avec l’admiration de millions de passionnés.


Découvrez Berserk en magasin, ou sur notre boutique en ligne.

Explorer le blog

Derniers articles

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Tu as une idée d'article ?
Tu aimerais lire sur un sujet en particulier

Les Librairies O-Taku

#jesuisotaku

0
Votre panier
  • No products in the cart.