Thrillers d’anticipation ou réflexions satiriques sur notre société, Motorô Mase est devenu maître dans la conception d’oeuvres sur la condition humaine et sociale, s’enfonçant toujours un peu plus dans le genre science-fiction. Mondialement connu pour ses titres Ikigami et Demokratia, le métier de mangaka était pourtant loin d’être l’option professionnelle No. 1 pour l’auteur qui rêvait avant tout de devenir réalisateur de films. Ses récits sociétaux sont de vraies pistes de réflexion sur le fonctionnement de la société japonaise et des défis présents dans notre quotidien, où que l’on vive. Partons en quête des récits de Motorô Mase, ce grand questionneur de nos sociétés d’aujourd’hui.

Ikigami, ou quand la mort vient frapper à votre porte

Ikigami, Motorô Masse, Kazé/Crunchyroll, 2005.

Imaginez-vous : vous passez une soirée tranquille, entre amis ou en famille, quand vous entendez sonner à votre porte. Étrange, vous n’attendiez pourtant personne… Vous ouvrez et, devant vous, se tient un fonctionnaire de l’État qui vous remet un document. Ce papier, c’est votre ikigami, qui vous annonce qu’il ne vous reste plus que 24 heures à vivre. Comment utiliserez-vous les dernières heures de votre vie?

Ce postulat de base pousse les personnages du manga Ikigami à se confronter à leur mort imminente. Cela vient chambouler non seulement vos projets de vie, mais aussi vos relations avec votre entourage. Les petites chicanes perdent très vite de leur importance et pourtant… Est-ce que l’arrivée de la mort vous pousserait pour autant à changer votre vie? Comment chacun réagit-il? Qui passera ses derniers instants auprès de ses proches? Qui réalisera un rêve d’enfance? Qui laissera tomber les gardes fous qui le retenaient puisqu’il n’y aura plus de conséquences? Tant de questions émergent pour finalement arriver à la conclusion suivante : tout ce que nous devons décider, c’est que faire du temps qui nous est imparti.

Ikigami, Motorô Mase, Kazé/Crunchyroll, 2005.

Ikigami est très certainement l’oeuvre la plus importante de l’auteur puisqu’elle est née suite aux attentats du 11 septembre 2001 et du choc que cet tragédie a eu sur le mangaka : “Je savais que c’était grave, mais le fait de voir cela à la télévision ne me donnait pas la sensation que ça se passait réellement. Je voyais les images, mais je ne ressentais pas les évènements comme quelque chose que je vivais moi-même. C’est à partir de ce moment-là que j’ai trouvé assez dangereux de ne pas pouvoir ressentir ce que les victimes ressentaient derrière l’écran. C’est ainsi que j’ai eu envie de raconter une histoire permettant de réfléchir sur la vie et la mort. (…) C’est parce que je souhaitais raconter un peu ce que pouvait être la vie que j’ai voulu faire cette oeuvre. Au départ, je souhaitais présenter les sentiments de personnages qui n’avaient plus beaucoup de temps à vivre tout en mettant en avant la valeur de la vie”. (Source : Motoro Mase, Interview réalisée par Koiwai – Manga news – Salon du livre 2011)

Avec ce véritable coup de cœur de l’équipe d’O-Taku (à l’unanimité et pour tous les temps!), l’auteur a su trouver la corde sensible pour convaincre ses lecteurs du talent qu’il a pour raconter des histoires mais surtout pour pousser la réflexion et inciter le lecteur à y prendre part. Grâce à sa plume, il nous invite à vivre une expérience de lecture vraiment hors du commun qui, j’en mettrais ma main au feu, ne vous laissera pas de marbre.

Demokratia, dans les coulisses de la démocratie

Demokratia, Motorô Mase, Kazé/Crunchyroll, 2013.

Simple mais intrigant, avec Demokratia, l’auteur nous présente un manga aux limites de la science-fiction qui grandira vers un déroulement presque post-apocalyptique. C’est autour d’un nomikai (réunion pour boire entre collègues de travail au Japon) que les deux cerveaux de notre histoire vont se rencontrer. Maezawa, futur ingénieur, et Iguma, spécialiste en robotique, vont sympathiser autour d’un verre. C’est ainsi que de leur fruit de leurs réflexions va naître : le programme Demokratia. Le principe : 3000 personnes choisies au hasard sur internet décideront à la majorité des faits et gestes de l’androïde Mai. Le but ici est de tester la fiabilité et les limites du principe de démocratie. Mais la convergence de 3000 cerveaux qui ne subissent pas le poids des conséquences de leurs décisions va très vite changer le projet ambitieux de nos deux jeunes scientifiques en un véritable cauchemar et prouver une fois pour toutes que la démocratie se doit d’être encadrée et n’est pas toujours synonyme de bonnes intentions.

Ici, on peut très clairement voir l’influence du père de la science-fiction moderne, Isaac Asimov, dans de nombreuses thématiques du manga. Le scénario est très clairement un énorme clin d’oeil à I, robot ou encore à certaines histoires courtes d’Asimov. Sous forme d’une expérience sociale, l’auteur aborde beaucoup de sujets importants, cruellement d’actualité encore aujourd’hui, dix ans après le début de la série, tels que la place que prend la technologie dans notre société, les craintes vis-à-vis de la technologie et la possible utilisation néfaste qu’elle pourrait engendrer, les conséquences de son autonomie et la peur de l’émancipation de cette nouvelle technologie qui pourraient nous amener vers une perte de contrôle pour l’homme.

Demokratia, Motorô Mase, Kazé/Crunchyroll, 2013.

Demokratia est vraiment passionnant à lire puisqu’il est le reflet de nos peurs vis-à-vis de la robotique dans notre société. Il suffit de voir l’évolution grandiloquente de l’IA et les avancées sur le projet Ameca aux États-Unis pour se rendre compte que le progrès ne peut plus être arrêté. L’émergence des robots/androïdes et des IA posent un grand nombre de questionnements philosophiques et au niveau du cadre dans lequel ils pourront évoluer.

On vient de le voir, Motorô Mase est très attentif au monde qui l’entoure, à la société dans laquelle il vit ainsi qu’à l’évolution probable de la technologie. L’auteur aime remettre en question son environnement social et en poser à son auditoire. On vous invite à vous pencher vers son dernier titre, tout frais paru cette semaine, Hitomoji : stress mortel, qui se présente comme une critique sociale autour du stress que chaque individu rencontre dans sa vie et qui, à force de grandir, vient à faire disparaître son humanité. Stress, anxiété ou encore burn out, on plonge dans les maux modernes auxquels nous devons faire face. Cela prend même une tournure presque ironique lorsque l’on sait que l’histoire se passe au Japon, pays où le stress lié au travail est omniprésent et peut mener à des extrêmes irréparables.

Et pour terminer cette chronique sur le talentueux Motorô Mase, voici un petit fun fact. Lors d’une entrevue, l’auteur s’est vu demander quelle serait sa réaction si, comme dans son manga, il venait à recevoir un jour un ikigami. Voici sa réponse : “Cela voudrait dire que je mourrai dans 24 heures… (rires) Dans ce cas, je pense que les trois dernières heures de ma vie, je les passerais à boire pour être dans un état qui me permettrait d’oublier tous mes soucis et, surtout, ma peur de mourir bientôt!” (Source : Motoro Mase, Interview réalisée par Koiwai – Manga news – Salon du livre 2011)

Une chronique signée,

David G.

*Source image d’en-tête : Ikigami, Motorô Mase, Kazé/Crunchyroll, 2005.

Motorô Mase est né en 1969 dans la préfecture d’Aichi, au Japon. Auteur de plusieurs mangas à succès, ses œuvres majeures sont Ikigami (2005) et Demokratia (2013). Son dernier manga, Hitomoji : stress mortel (2023), vient de sortir aux éditions Kazé/Crunchyroll et est un coup de cœur de l’équipe. Pour en savoir plus, c’est ici.

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