Le monde de la création regorge d’oeuvres n’attendant qu’à être lues par le plus grand nombre. On pourrait supposer que chaque œuvre, lors de sa création, conserve une certaine indépendance, exempt de toute influence externe. C’est on-ne-peut-plus faux! On peut s’auto-provoquer un véritable vertige artistique lorsque l’on décortique l’héritage omniprésent dans les mangas! Une transmission qui peut prendre bien des formes : physique, littéraire, technique… Bien plus présent dans le monde du manga que ce qu’on pourrait imaginer, cet héritage façonne les mangaka depuis toujours et façonnera encore ceux de demain. Mais sous quelle forme le retrouve-t-on, nous lecteurs, et quelle importance revêt-il pour nous? Ensemble, examinons l’impact de la transmission d’un héritage dans le monde du manga.
Les mangas d’avant l’âge d’or
Depuis les années 90, qu’on pourrait définir comme l’âge d’or du manga, le medium s’est popularisé en Occident. Depuis l’introduction d’Akira par la maison Glénat et les premières diffusions d’animes, le manga ne nous n’a jamais quitté, mais, d’année en années, il prend de plus en plus de place et connaît actuellement un second âge d’or. Mais avant l’arrivée de Demon Slayer, Naruto, One Piece ou même Dragon Ball, le monde du manga recèle toute une panoplie de mangaka qui ont influencé les auteurs et les genres d’aujourd’hui.
Ne vous inquiétez pas si les noms de Moto Hagio, Riyoko Ikeda, Takao Saito, Osamu Akimoto ou encore Yudetamagao ne vous disent rien. Ces mangaka qui, parmi tant d’autres, sont pourtant les maçons du manga d’aujourd’hui ne sont que très peu connus des lecteurs occidentaux.
Moto Hagio et Riyoko Ikeda, par exemple, ont fait partie du Groupe de l’an 24. Ce groupe informel, nommé ainsi rétrospectivement par les journalistes et critiques nippons, désigne la nouvelle génération de femmes mangaka qui ont œuvré dans les années 70 à l’essor du shôjô, le conduisant au shôjô moderne que nous connaissons. Influencées par la culture, ces auteurs insufflèrent une nouvelle tournure dans les thématiques du genre, y mêlant à la romance science-fiction, fantasy ou encore horreur, et dans ses messages tels que des réflexions autour de la sexualité ou même du genre avec la mise en scène de personnages à l’esthétique androgyne personnages.
De son côté, Osamu Akimoto est un pilier du shônen puisque, pendant de longues années, sa série Kochikame fut la série la plus longue en sérialisation avec environ 40 ans de publication et 201 volumes. Il est aussi l’un des derniers représentants du manga humoristique encore en activité. L’iconique Kinnikuman, de Yudetamagao, un célèbre duo d’artistes manga, est encore aujourd’hui une des œuvres qui s’étire depuis la fin des années 70 et a fortement inspiré (et inspire toujours) l’esthétique du super-héros type de shônen, fort et musclé, aux valeurs typiquement shônen que nous aimons tant. Hiro Mashima (Fairy Tail), Yoshihiro Togashi (Hunter x Hunter) ou encore Hiromu Arakawa (Fullmetal Alchemist) avouent volontiers avoir été grandement influencés par Kinnikuman.
Pour les plus curieux, je vous invite à aller lire Usui Yoshito (Crayon shin chan), Takao Saito (Golgo 13), Fujiko F. Fujio (Doraemon) ou encore Machiko Hasegawa (Sazae-san) dont l’influence sur le manga d’aujourd’hui est phénoménale.
Qui inspire qui?
Afin de conclure et de vous donner le vertige artistique que je vous avais promis, il est temps de se pencher sur l’héritage littéraire que les mangaka se transmettent informellement. Nombre de mangaka ont travaillé en tant qu’assistants de grands Sensei avant de devenir l’auteur de tel ou tel grand succès et les connexions se ressentent à la lecture dans le style, la mise en page, l’ambiance ou les thématiques.
Des exemples flagrants de ce legs, il en existe énormément.
Quand on sait que Hirohiko Haraki (Jojo’s Bizarre Adventure) a été l’assistant de l’auteur de Tetsuo Hara sur Hokuto no Ken, on comprend d’où vient cette esthétique masculine exagérée voire grotesque de ses personnages.
Cette ressemblance dans le trait des personnages est même allée jusqu’à créer une polémique à propos des frères Kishimoto. Durant l’écriture de la série Naruto, Masashi Kishimoto écrivait sa série accompagné de son frère jumeau, Seishi Kishimoto (Satan 666). Suite à des insultes et des menaces faites à son frère par les fans de Naruto, Masashi Kishimoto a dû intervenir auprès de ces derniers pour arrêter la polémique : il décrivit leurs sessions d’écriture communes qui expliquaient pourquoi leurs dessins étaient si similaires.
Ces deux exemples ne sont pas des cas isolés, il en va de même pour toute l’industrie du manga et toutes les œuvres qui se retrouvent sur le marché. En voici quelques autres :
- Yoshiki Tonogai, l’auteur de Doubt et Judge, était assistant d’Atsushi Ôkubo sur Soul Eater
- Satoshi Kon (Paprika, Tokyo Godfathers) était assistant de Katsuhiro Otomo sur rien de moins que Akira
- Kentarô Miura, l’auteur de Berserk, était assistant (et oui! Même Maître Miura a été assistant!) de George Morikawa sur sa série de boxe Ippo
- Le génialissime auteur de Slam Dunk et Vagabond, Takehiko Inoue était l’assistant de l’auteur de City Hunter, Tsukasa Hôjô
- Pour sa mythique série Kenshin le vagabond, Nobuhiro Watsuki a reçu l’aide d’assitants de choix : Eiichiro Oda (One Piece) et Hiroyuki Takei (Shaman King)
- L’auteur de Dorohedoro, Q Hayashida, était assistante de Tsutomu Nihei sur Blame
Cette transmission dans le monde du manga est beaucoup plus large que ce qu’elle laisse paraître. Ces connexions entre mangaka et leur impact les uns sur les autres est indéniable. Si on a l’œil attentif, en tant que lecteur de mangas, il est déconcertant de débusquer cet héritage. On vous laisse le plaisir de vous replonger dans vos œuvres préférées afin de chercher les inspirations, et, qui sait, peut-être arriverez-vous à en trouver que nous n’avons pas cités. Dites-nous tout!
Une chronique signée,
David G.