🚀 Chronique D. – 23 mars 2021 🚀
Sous-genre de la science-fiction, empreint de violence et souvent de pessimisme, le cyberpunk met en scène un futur proche où la technologie de l’information et la cybernétique sont monnaie courante. Véritable genre à part entière, il est actuellement en voie à un gain en popularité de façon globale. Mais en est-il également le cas dans le manga ? Paré de tes améliorations cybernétiques, attrape ta moto, en route pour le futur du No Future !
Un genre en opposition avec la science-fiction
Evoluant dans un univers confluent entre les thématiques de l’intelligence artificielle, du cybernétisme et de sociétés souvent dystopiques, l’homme transcende son humanité au profit d’une identité robotique.
Basé sur le concept punk du No Future issu du même mouvement, le héros qui évolue dans cette bulle scénaristique doit se débrouiller dans un futur désorganisé. Il se retrouve coincé dans une situation d’incertitude entre un univers presque apocalyptique à post-apocalyptique. Ses valeurs et ses actions se retrouvent dès lors confrontées à des intérêts inamovibles et impalpables. L’implication politique dite anarchiste est omniprésente et prévaut surtout par son opposition à l’organisation des pouvoirs totalement dépourvue d’éthique, très fortement dénoncée et la plupart du temps combattue.
Brossant un portrait sinistre et sombre de notre société, le cyberpunk s’identifie à une vision du futur assez caduque envers elle-même. Le fameux concept du No Future est le point névralgique du genre, abordant les thématiques autour de la surpopulation, la criminalité (notamment dans Ghost in the Shell où on suit le major Makoto qui essaye tant bien que mal de mettre fin à cette criminalité), l’écart entre riches et pauvres, la pollution (l’impact et les conséquences du nucléaire mis en avant dans Akira en est un bon exemple). Le genre met également en avant le concept de la techno-accélération : la technologie avance plus vite que la pensée et la société. Dès lors, l’humain est dépassé par la machine et ce dernier doit s’y adapter pour pouvoir survivre.
La création d’un nouveau type de héros
Anti-héros par nature ou de par l’univers qui l’entoure, un nouveau style de héros voit le jour : solitaire et marginal, le héros est un homme (ou femme) de la rue, détaché de sa société, contraint de s’adapter à cette dernière. Sans passé et potentiellement sans futur, il vit dans le présent au détriment de son avenir, le tout dans un monde en proie à sa dégénérescence. Il est généralement un surdoué de l’électronique et de la technologie mais pas des relations humaines, il travaille souvent pour lui et uniquement pour lui.
Les anti-héros du genre cyberpunk se retrouvent souvent comme des pions manipulés dans un imbroglio de sociétés secrètes, services gouvernementaux, syndicats du crime, plus ou moins dirigés par les cadres supérieurs de multinationales devenues plus puissantes que des États, et qui ont leurs propres lois, possèdent des territoires, et contrôlent la vie de leurs employés de la naissance à la mort. Leurs dirigeants sont souvent dénués de tout sens moral.
Le cyberpunk est présent dans beaucoup de supports tel que les films (Blade Runner, Robocop, Judge Dread, Matrix, Le 5e élément…), les séries télévisées (Black Mirror, Altered carbon, Minority report), dans les jeux vidéos (Cyberpunk 2077, Deus ex, Final fantasy VII) et le manga n’a pas attendu longtemps pour s’attaquer lui aussi à la thématique.
Le cyberpunk dans le manga
Présent dans le manga depuis les années 70-80, cela fait donc plus de 50 ans que le cyberpunk fait parler de lui au Japon. Présent dans plusieurs œuvres, il est tout de même assez timide par rapport à d’autres genres plus populaires.
Ainsi, plusieurs mangas sauront bien évidemment tirer leur épingle du jeu : Gunnm par exemple, avec son héroïne attachante et teintée d’innocence, saura nous tenir en haleine. Yukito Kishiro aura su, avec brio, nous ensorceler avec la touchante histoire de Gally. Plus robot qu’humaine, cyborg de sa constitution, seul son cerveau est resté intact, cybernisé à plus de 90%. C’est le point de départ de la crise identitaire de notre héroïne à la recherche de son humanité.
Ghost in the Shell se rapproche des thématiques de Gunnm. Vivant dans un univers de mégalopoles surpeuplées et débordées par la criminalité, une thématique centrale prime sur l’histoire : le concept de l’existence du Ghost. C’est sous le regard du major Makoto que l’histoire prendra tout son sens, évoluant dans une société où la technique transcende le genre et la condition humaine : étant cybernisés, nous reste-t-il seulement encore quelque chose d’humain ? Ce “Ghost”, représentation futuriste de l’âme, persiste-t-elle toujours alors que physiquement plus rien ou presque ne nous définit comme humains ? Se considérer humain est-il régit par notre condition biologique ? Est-ce lié au fait d’éprouver des sentiments ? Est-ce lié à notre âme ? Notre Ghost ?
Dans Psycho-Pass, on change de registre pour adopter une approche particulière à la Judge Dredd. Pour faire face à la criminalité montante dans des mégalopoles surpeuplées, le gouvernement a mis en place un programme implémenté dans chaque individu : le Psycho-Pass, ce dispositif mesurant le coefficient de criminalité, permet un contrôle massif de la population et permet aux exécuteurs de prévenir les pires drames criminels avant que ceux-ci n’aient lieu. Ce regard pessimiste sur l’avenir de notre société et le problème que la surpopulation peut engendrer est une thématique qui, tranquillement, pourrait nous rattraper et nous apparaître… pas si lointaine ! Avec une population grandissante d’année en année, c’est une possible future problématique que nous pourrions rencontrer. Avec une démographie qui augmente de 5% par ans et du haut de nos presque 8 milliards d’individus, Psycho-Pass nous apporte une vision de notre futur, certes peu valorisante et très pessimiste, mais qui est à même de se retrouver au seuil de notre porte dans un futur pas si éloigné.
Véritable classique indémodable et toujours d’actualité, je ne pouvais pas ne pas parler de ce monstre ! Ecrit dans le début des années 80, Akira trône et ne vieillit pas. Modèle et icône littéraire nationale et internationale, Akira c’est la référence absolue ! Impossible de parler de cyberpunk sans mentionner l’œuvre de Katsuhiro Otomo. De ces traumatismes nucléaires, communs aux Japonais, est née la rage de notre héros Kaneda, se gavant de pilules stupéfiantes et chevauchant sa bécane à toute allure dans tout Neo-Tokyo aux côtés de ses amis. C’est l’état de la société, sa déchéance ainsi que la perte d’espoir en un système égalitaire qui, petit à petit, amèneront nos héros dans leurs lente et mélancolique descente en enfer. Cette déchéance scénaristique des protagonistes, qui en viennent à développer des pouvoirs psychiques et la folie des grandeurs qui en découle, est en fait le pâle reflet des démons et des fantômes que celle-ci engendre a fortiori.
C’est sur ces quelques lignes résumées par Stéphanie Chaptal dans son incroyable livre Hommage à Akira: Héritage de l’apocalypse, que se place Akira : ” De la peur liée au nucléaire et au passé militariste du Japon, à la violence et à l’instabilité politique de l’archipel à la fin des années 1970 et au début des années 1980, Akira a su capturer les traumatismes d’un pays pour en faire une œuvre universelle”.
La liste des mangas cyberpunks est encore longue et, si tu es avide de te lancer dans ce genre à corps perdu, on aurait pu encore en aborder beaucoup : Blame et Biomega de TsutomuNihei, Appleseed de Masamune Shirow, Eden d’Hiroki Endo, le populaire Neon Genesis Evangelion de Yoshiyuki Sadamoto, Levius, maitrisé d’une main de maître par Harihisa Nakata ou encore le récent Origin, qui joue autant avec les codes du cyberpunk que ceux de la science-fiction (avec notamment les lois de la robotique d’Isaac Asimov). La liste pourrait continuer encore et force est de constater qu’avec le regain de popularité de ces dernières années, on peut être sûrs de voir d’autres œuvres émerger dans les années à venir.
L’écrivain américain William Gibson, véritable pilier vivant du mouvement cyberpunk, s’est exprimé un jour sur le genre et c’est sur ces quelques lignes ainsi que les réflexions que tu pourras en déduire, cher lecteur, que je te laisse le véritable mot de la fin :
” Le cyber-space est une hallucination consensuelle vécue quotidiennement en toute légalité par des dizaines de millions d’opérateurs. Dans tous les pays, par des gosses auxquels on enseigne les concepts mathématiques. Une représentation graphique des données extraites des mémoires de tous les ordinateurs du système humain, une complexité impensable. Des traits de lumière disposés dans le non-espace de l’esprit, des amas et des constellations de données. Comme les lumières des villes dans le lointain.’’ – William Gibson