Mangaka légèrement boudé par ses compatriotes japonais, c’est principalement dans le cœur des lecteurs français qu’il trouve sa notoriété. Avec ses airs de bédéiste, il est souvent cité comme “le poète du manga” (amateur de nouilles instantanées !). Ce grand homme nous a quitté en 2017, laissant derrière lui une pléthore de récits tous aussi incroyables et enrichissants les uns que les autres. Ces récits intimistes dont il est l’expert sont de véritables odes à la flânerie et aux plaisirs de la vie. Alors que les jours se rallongent, prenons le temps de profiter de ces petits instants que nous offre la vie. Partons en quête des récits de Jirô Taniguchi, cet incorrigible nostalgique ruminant sur le temps qui passe.

Le Journal de mon Père, ou quand le passé côtoie le deuil

Avec Quartier Lointain, l’autre grand chef-d’oeuvre de Taniguchi, Le Journal de mon Père est très certainement une des œuvres de l’auteur les plus appréciées des lecteurs. Avec un décor planté dans sa ville natale, Tottori, le manga fut longtemps considéré comme autobiographique, aux vues du titre de ce dernier. Et pourtant, il n’en est rien. Alors pourquoi ce choix ? Simplement une envie de l’auteur de se permettre d’être assisté par des repères et des souvenirs de son passé.

Ce désir de faire parler la nostalgie d’une enfance passée, c’est ce que l’auteur et le héros de l’oeuvre, Yoichi Yamashita, se permettront timidement de garder jalousement. Cela fait 10 ans que Yoichi n’est pas revenu dans sa ville natale et pourtant c’est dans l’ambiance lourde de la perte d’un être cher que son retour à ses origines devra se faire : son père vient de mourir. Retrouvant amis et famille, c’est lors d’une veillée funèbre arrosée que le passé resurgit : l’incendie qui a ravagé leur foyer, la reconstruction de ce dernier, le divorce de ses parents, ses problèmes de jeunesse… Pour l’enfant qu’il était à l’époque et pour l’adulte qu’il est devenu, son père a été le responsable de tous les malheurs qui se sont abattus sur sa famille. Néanmoins, lors de cette soirée funeste, chaque membre de sa famille viendra petit à petit apporter une nouvelle vision d’un même homme. Redécouvrant l’homme qui l’a élevé avec des yeux d’adulte, il réalisera, trop tard, qu’il a sous doute été le seul responsable de cette incompréhension qui subsistait entre lui et son père.

C’est teinté d’un trait très sobre que l’auteur nous dresse ici un récit d’une incroyable tristesse et d’une beauté inimitable. De par la touchante histoire qu’est Le Journal de mon Père, l’auteur nous propose humblement une belle leçon de vie, celle de s’exprimer sur ce que l’on ressent aux dépends de le regretter un jour. Cette conviction, l’auteur a ainsi exprimée : « Il est important d’exprimer ce que l’on ressent. On ne peut pas espérer que les autres le devinent. »

Cette maxime sera le maître mot de l’oeuvre. La réconciliation que Yoichi vivra sera la première pierre qu’il posera afin de faire son deuil et d’adresser un dernier adieu à son père, cet homme qu’il n’a cerné que trop tard.

Les Années Douces, ou le choc des générations.

Jirô Taniguchi a dit un jour : « Si j’ai envie de raconter des petits riens de la vie quotidienne, c’est parce que j’attache de l’importance à l’expression des balancements, des incertitudes que les gens vivent au quotidien, de leurs sentiments profonds dans les relations avec les autres. […] C’est peut-être parce que je m’attache à rendre au plus après la réalité quotidienne des sentiments des personnages. Si on y pénètre en profondeur, une histoire peut apparaître même dans les plus petits et les plus banals événements du quotidien. C’est à partir de ces moments infimes que je crée mes mangas. »

Ces quelques phrases de l’auteur représentent parfaitement ce que Les Années Douces est : un manga d’une banalité absolue à première vue mais d’une profondeur merveilleuse lorsqu’on prend la peine de s’y pencher.

Tsukiko est dans sa trentaine. Prenant habitude de descendre dans son café préféré, notre héroïne fera la rencontre fortuite d’un homme solitaire et fort élégant de 30 ans son aîné. Réalisant qu’elle l’a déjà rencontré quelque part, elle prend conscience qu’elle est tombée par hasard sur un de ses anciens professeurs. Complices un jour, étrangers le lendemain, leur relation s’avère être ambigüe mais garde un maître mot : rien n’est obligé entre eux.

Au gré de leurs envies, de leurs humeurs et de leur emploi du temps, ils prennent l’habitude de se retrouver ensemble autour d’un verre, de s’improviser des sorties ensemble. Un rapprochement qui se transformera en complicité puis en connivence, en véritable affection et peut-être même en… Elle célibataire et lui veuf, ces rencontres ingénues se transformeront en quelque chose de plus fort. Autour de cette relation nouvelle, le passé refait surface et l’avenir se dessine. Cette rencontre de deux solitaires qui prend vie sous la plume experte du maître a l’audace de nous offrir une lecture d’une tendresse absolue qui reflètera le titre qu’elle porte.

Jirô Taniguchi aime nous faire reconsidérer notre approche vis-à-vis de notre vie et de notre quotidien. Nostalgie, sentimentalisme, mélancolie, moments heureux ou tristes, cet amoureux de la vie nous propose souvent des récits minimalistes dans leur scénario, mettant en avant les événements imprévus de la vie, les rencontres inattendues. Des récits certes très réalistes mais surtout des récits d’exception que nous n’avons pas l’habitude de lire. J’aurais pu vous parler ad vitam aeternam de l’auteur tant ce dernier a pris et continue de prendre de l’ampleur dans mes lectures dernièrement. Allez ! Si vous en voulez encore, je vous suggère : Un Assassin à New-York, sorti il y a peu, l’iconique Quartier Lointain, le magnifique Elle s’appelait Tomoji, ou encore l’incontournable Au temps de Botchan. Considéré comme le plus européen des mangaka nippons, Jirô Taniguchi est une référence dans le monde du manga et un géant dans le domaine de la bande-dessinée intimiste. Il est probablement le seul capable de faire la synthèse entre deux arts que l’on a trop souvent opposés : la bande-dessinée et le manga.

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