A-KI-RA
TET-SU-O
KA-NE-DA
Trois noms, trois syllabes à prononcer en hurlant.
Akira, de près comme de loin, a eu l’effet d’une bombe lors de sa sortie et cela continue encore aujourd’hui. De sa sortie officielle, en passant par le film et jusqu’au coffret anniversaire sorti il y a peu, Akira dévaste tout sur son passage. Véritable déflagration littéraire, Akira, c’est la référence ultime. Le manga a su redéfinir les bases du seinen de par son scénario et son style graphique, il porte le bagage d’un ressenti sociétal national fort envers le nucléaire et même, si cela fait plus de 35 ans, l’écho de cette déflagration n’a rien perdu de sa puissance et retentit encore de nos jours.
La création d’Akira.
Bien qu’il ait commencé à publier en 1973, c’est en 1982 que Katsuhiro Otomo, le créateur d’Akira, fait le plus parler de lui. C’est en quelque sorte son âge d’or. Pour cette véritable star montante, l’éditeur Kodansha met tout en œuvre et est bien décidé à faire signer un contrat de longue durée à cette perle rare plutôt que de la voir s’épanouir chez d’autre éditeurs. Kodansha fera une commande toute particulière au jeune Katsuhiro Otomo : une série de science-fiction adulte à incorporer dans son Weekly Young Magazine nouvellement né. C’est donc dans les pages du numéro 24 du magazine que notre futur Akira verra le jour.
« Je l’ai appelé Akira, mais pour résumer, c’est un nom qui exprime une grande force, la force comme base primaire. C’est une pensée individuelle, c’est un nom qui exprime quelque chose de fondamental », confie le mangaka.
C’est avec en tête l’idée d’un scénario avec « une arme secrète conçue par les militaires avant la guerre du Pacifique et réexpérimentée ensuite » qu’Otomo se lance dans ce qui devait être, dans un premier temps, un one-shot de 200 pages.
Mais l’œuvre va très vite évoluer pour s’étaler sur plus de 2200 planches. Otomo repart donc avec une nouvelle approche : « Je voulais raconter une histoire qui se passe dans un Japon ressemblant à celui de l’après-Seconde Guerre mondiale, avec un gouvernement contesté, un monde en reconstruction, des influences politiques extérieures, un avenir incertain, et une bande de jeunes abandonnés à eux-mêmes qui trompent l’ennui à l’aide de poursuites à moto. »
Akira prend place en 2019, dans la ville futuriste de Néo-Tokyo, créée après la destruction de Tokyo. Néo-Tokyo est une ville sale et corrompue. Des bandes de jeunes motards livrés à eux-mêmes sillonnent la ville à moto. L’un de ces jeunes, Tetsuo, est blessé après une chute et se fait capturer par l’armée japonaise, qui effectue sur lui une série de tests dans le cadre d’un projet militaire secret. Les amis de Tetsuo, parmi lequel le chef de bande Kaneda, cherchent à comprendre ce qui lui est arrivé. Tetsuo parvient finalement à s’évader, mais les expériences l’ont profondément transformé.
C’est donc dans un Japon toujours hanté par les drames des bombes atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki que l’histoire conçue par Otomo verra le jour.
La société japonaise y est passée au crible fin et Akira baigne dans un futur post-apocalyptique, ressemblant étrangement à un passé fantasmé après la bombe H. Toute la nuance de l’œuvre est ainsi posée : Akira, c’est l’image de ce que les japonais aurait pu devenir, de qu’ils pourraient encore devenir.
Des images plein la tête : les sources d’inspiration
Une des sources les plus influentes d’Otomo sera le cinéma. Cinéphile aguerri, c’est dans le visionnement de films tels que Orange mécanique de Stanley Kubrick (un futur dystopique, des bandes de voyous, et une mise en scène très stylisée), Blade runner de Ridley Scott ou encore Tron de Steven Linsberger, que l’auteur trouvera l’inspiration pour la création de son univers. « Quand je repense au processus de création qui m’a amené à élaborer l’univers d’Akira, il est évident que j’ai été profondément influencé par le cinéma mais aussi par les comics américains », confie le mangaka.
Mais l’auteur cite le clip cyberpunk Synchronicity II du groupe de rock britannique The Police comme étant la base pour les tenues vestimentaires et l’ambiance du manga. Il tient absolument à intégrer une moto chopper dans son récit. Afin de s’approprier le véhicule, il s’inspirera des motos du film Tron de 1982 les fusionnant avec l’esthétique chopper et ainsi faire naître la fameuse moto de notre protagoniste.
Otomo attaque donc son manga et prépare son nouveau scénario. « J’avais décidé d’écrire Akira avec la plus grande liberté possible. Je me disais qu’ainsi, je ferais avec Akira ce que je n’avais pas réussi à faire dans Fire Ball »
Akira exploite la thématique militaire et post-apocalyptique que l’auteur a déjà l’habitude d’aborder et les pousser à leur maximum grâce aux graphismes et à une mise en page inspirée de techniques cinématographiques. « J’ai beaucoup appris du cinéma au niveau de la lisibilité, de la fluidité du récit. Dans mes premiers mangas, il y avait beaucoup de répliques très longues et alambiquées mais j’ai pris conscience de la façon de permettre au lecteur de lire avec davantage de facilité. »
Le succès d’Akira fut instantané. Les lecteurs du Weekly Young Magazine découvrirent un auteur japonais qui était en mesure de développer un manga de science-fiction de cette ampleur, phénomène nouveau et assez rare pour l’époque. Une structure narrative particulière puisque le personnage qui donne son nom au manga n’était toujours pas apparu et ce même alors que le premier tome était sorti. Le mystère restait intact : qui est Akira ?
Dès cet instant, le phénomène galvanisa tellement les lecteurs que ce one-shot qui devait se finir en 200 pages, se transforma en une série de 6 tomes et pas moins de 2200 planches. « Je voulais avoir l’opportunité de créer cette excitation chez le lecteur, de créer ce besoin de savoir ce qui allait se passer dans l’histoire, semaine après semaine, tout en maintenant la qualité tout du long. »
Le précurseur du phénomène manga en Europe
Plus qu’une explosion japonaise, Akira a été également un détonateur pour l’Occident. Il faut savoir qu’Akira n’a pas été le premier manga à être publié en Europe : avant lui étaient parus Gen d’Hiroshima, Le cri qui tue, Astro le petit robot, et bien d’autres. Mais Akira, par sa façon de raconter son histoire, sa conception, son scénario, se révèlera être le premier pilier du phénomène manga en Occident. L’acquisition des droits de traduction d’Akira est arrivée en Europe d’une façon un peu particulière, puisque, à la base, c’est avec l’idée d’exporter des bande-dessinées franco-belges au Japon que Jacques Glénat, fondateur de la maison d’édition du même nom, décide d’investir dans un voyage direction le Japon.
Alors que ce dernier arrive à rencontrer des éditeurs japonais, son projet tombe complètement à l’eau. Il peine à convaincre les éditeurs japonais d’acheter les droits de publication des BD de son catalogue. C’est alors que l’éditeur va lui proposer de lire Akira. Émerveillé devant ce manga, Jacques Glénat reviendra avec les droits de publication et de traduction d’Akira dans ses valises. Le passage d’Akira du Japon à la France s’accompagnera de grands changements : Glénat proposera 2 traductions différentes, une au plus proche de la BD Franco-belge et une se rapprochant plus du comic américain réservé au kiosque Français . Ce sont précisément ces deux éditions et le scénario incroyable du manga qui feront que le manga perdurera année après année.
Et puisqu’on en parle, comment s’est vécu le phénomène Akira en Amérique du Nord ?
Pour ce qui est de notre côté du globe, c’est d’abord via l’adaptation cinématographique que la série a été découverte par le public nord-américain et américain. Le film sort en anglais un an après la sortie du film au Japon par la Toho animation en 1989. Malgré le succès nippon et européen du film et du manga, la version américaine connaît un début fort timide, le manga étant encore nouveau pour l’Amérique, la culture japonaise souffrant encore d’un manque notable de considération (des restes du conflits de la guerre du Pacifique ?). Ce n’est qu’avec la vague phénomène du manga et la sortie française du film en 1991 qu’une seconde version anglaise verra le jour en 2001, plus fidèle à l’oeuvre principale. Depuis les années 2000, le manga n’a de cesse de faire parler de lui encore et encore à un tel point que nous connaissons aujourd’hui ici au Québec notre propre phénomène manga, donc Akira est l’un des chefs de file. De chaque côté de l’Atlantique, Glénat et Kodansha (la branche américaine) ont sorti un coffret intégral incroyable et sublime pour les 35 ans de la série et un film live américain est même en cours de production pour 2021.
J’aurais pu continuer à parler d’Akira pendant longtemps encore tellement cette oeuvre a une influence importante dans le monde du manga, mais toute bonne chose a une fin.
Akira a laissé une empreinte indélébile dans le cœur de millions de lecteurs et de centaines de mangaka. Akira a inspiré, inspire et inspirera encore et pour longtemps. Je vous invite à lire Akira si ce n’est pas déjà fait, ou à vous intéresser au film, vous pourrez comprendrez à quel point l’œuvre a été un tournant décisif pour le manga au Japon et en Occident. Véritable classique indémodable, toujours d’actualité, Akira s’avère très certainement l’œuvre manga la plus iconique. Stéphanie Chaptal dans son incroyable livre Hommage à Akira: Héritage de l’apocalypse, a réussi avec brio à mettre le doigt dessus : ” De la peur liée au nucléaire et au passé militariste du Japon, à la violence et à l’instabilité politique de l’archipel à la fin des années 1970 et au début des années 1980, Akira a su capturer les traumatismes d’un pays pour en faire une œuvre universelle ”.
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Très bon article. Je ne connaissais pas du tout l’histoire de la publication par Glénat. Très intéressant. Je viens de faire un billet dans le même genre si ça vous intéresse.