Depuis sa création, le shōjo manga a évolué à travers le temps. De ses premières histoires courtes humoristiques aux histoires de garçons manqués ou de sages et jolies jeunes filles, le shōjo d’hier est diamétralement différent du shōjo d’aujourd’hui. Cela, on le doit en grande partie à un groupuscule de femme avant-gardiste sur leur temps : le Groupe de l’an 24.
Pionnieres dans le monde du manga, maître mangaka au japon et pourtant si peu connu ici en Occident, il existe un noyau d’auteurs qui ont révolutionné les shōjos que vous et moi lisons au quotidien. Responsables des conventions littéraires du shōjo d’aujourd’hui, on parle d’auteurs qui se sont réappropriés le genre pour le modifier, le codifier et le moderniser allant jusqu’à, dans le processus, instaurer les bases pour plusieurs autres genres tels que le josei, le yaoi ou encore le yuri. Partons en quête du groupe de l’an 24, ces femmes mangaka aux idées punks aux antipodes des codes shōjo imposés par Osamu Tezuka, le dieu du manga lui-même.
Le shojo d’apres guerre.
Apres les événements de la seconde guerre mondiale et l’occupation américaine, les Japonais subissent un tsunami créatif qui vient regonfler à bloc le monde du manga et du shōjo. Majoritairement écrit par des hommes, on peut relever la présence de leiji Matsumoto (connu sur cette période sous le pseudonyme d’Akira Matsumoto) qui dans les années 50 fera évoluer son style pour mettre en place le style Kawaii, ce côté mignon avec les gros yeux qui font craquer les lecteurs.
Un peu plus tard, il sera rejoint par Osamu Tezuka avec la naissance de son iconique Princesse saphir qui, malgré son côté incontournable, fut une demande spéciale d’éditeur à l’auteur pour redorer le shōjo par le talent que celui-ci connaissait déjà dans le shōnen. Habitué à faire des histoires manga shōnen, il apportera avec ce nouveau projet, un format qui a déjà fait ses preuves : Le story-manga.
Avec cet apport, le shōjo, petit à petit, délaisse son côté épisodique pour prendre une narration plus dynamique qu’on retrouve encore aujourd’hui.
Malgré le succès de Princesse Saphire et de l’héritage que l’œuvre a laissée, tout au long des années qui suivent le succès du shōjo reste mitigé puisque le manga pour fille reste grandement et majoritairement produit par des hommes. Dans l’incapacité de totalement comprendre les attentes de leur lectorat, ils auront beaucoup de misère et de difficultés à satisfaire leurs lecteurs. Cette incompréhension amènera avec elle, une série d’échecs narratifs mettant en avant des héroïnes passives et torturées qui endurent les événements avec courage. Avec les années et les échecs à répétition, le shōjo manga sera délaissé par ses auteurs masculins qui préféreront se rediriger vers le shōnen ou qui s’en iront vers le Gekiga nouveau genre naissant et plus mature pour adultes Ces nombreuses désertions laisseront l’occasion à plusieurs auteurs de s’approprier le genre shōjo.
Le groupe de l’an 24.
Durant de nombreuses années le shōjo fut bercé d’histoire romantique à n’en plus finir qui, on s’en doute, ont bercé les auteurs de ce groupe qui n’en est pas vraiment un. Ce nom, ce sont les journalistes et les critiques qui l, ont offert afin de désigner la nouvelle génération de femmes mangaka. Pour la petite anecdote, l’an 24 fait référence à la 24ᵉ année de l’ère Showa (1926-1989) soit l’année 1949, qui serait l’année de naissance des membres de ce groupe, même si ce n’est pas vraiment exactement exact.
Le cœur du groupe de l’an 24 prend racine au sein du ” Salon Oizumi” où Moto Hagio et Keiko Takemiya étaient colocataires. Pendant 3 ans, elles auront l’opportunité d’échanger et de travailler ensemble afin de se questionner sur l’état du shōjo manga.
Avec la sortie de la rose de Versailles de Riyoko Ikdea et le clan des Poes de Moto hagio, et en raison de leur qualité esthétique et littéraire, elles font enfin rentrer le shojo dans son ” âge d’or” et contribuent en même temps à la naissance du ” roman graphique. le groupe de l’an 24, composé d’une dizaine d’auteurs, va littéralement faire exploser tous les clichés du shojo manga en innovant sur des oeuvres d’un nouveau genre varié et ambitieux. Véritable punk de la littérature ces auteures vont également s’approprier l’essor des revendications sociales de l’époque pour aborder des sujets comme l’homosexualité, l’androgénie, le suicide, le racisme, la politique, la psychologie, ou encore les luttes sociales. Cet amas de theme tout azimuts’accompagnera également d’une revisite des genres avec l’arrivée de la fantasy, la fresque historique, l’horreur ou encore la science-fiction.
Moto Hagio ouvrira les portes de la fantasy avec la création du clan des Poes, une fresque incroyable d’une famille de vampires que l’on suivra sur presque 300 ans. Elle signera aussi. Nous sommes onze ! , une histoire de science-fiction sous forme d’un thriller psychologique de 10 élèves coincé dans l’espace alors qu’un intrus rôde.
Keiko Takemiya de son côté, fera carton plein avec Destination Terra (réédité dernièrement) un space opéra suivant le destin d’un membre des Mu, des etres doté de pouvoirs télépathique qui se cahche et qui devra guider les siens pour Terra.
Riyoko Ikeda surfera sur la popularité de princesse Saphire avec son iconique, la rose de Versaille que les plus anciens d’entre nous ont connue. Dans ce récit, nous suivons Oscar François de Jarjayes, en plein siècle des lumières, capitaine de la garde royale qui s’avère être en réalité la fille cadette d’une famille de soldat.
C’est indéniable, avec ce genre de récits, le groupe de l’an 24, innove, chamboule, modélise le shojo manga avec des récits plus profonds qui met l’accent sur la psychologie des personnages et traite de sujets qui était très controversés.
Mais cela ne s’arrête pas là puisque Keiko Takemiya avec Kaze to ki no uta finira de poser les bases que Moto agio a instaurées avec le cœur de tomas pour l’émergence du Shonei ai, offrant ainsi l’opportunité d’une réflexion general sur le sexe, la sexualité et l’identité elles posent les bases de plusieurs styles que nous lisons encore aujourd’hui et qui grâce à elles sont devenues hyper populaires telles que le yaoi ou encore le Yuri.
Certaines thématiques plus matures et complexes de plusieurs membres du groupe de l’an 24 intéresseront aussi les maisons d’édition qui lanceront les prémices des premiers magazines de prépublication josei tel que Be love (par kodansha), you (par Shueisha) ou encore plus tard le Big comic for Lady (Par Shogakukan)
Vous l’aurez compris, le groupe de l’an 24 revêt une importance toute particulière et bien ancrée dans l’histoire du manga et du développement du shojo manga. Mais attention bien que les auteures présentes dans ce groupe ont eu une influence astronomique sur l’évolution et le développement du shojo, il est aussi important qu’intéressant de spécifier qu’elles ne représentaient pas l’image du shojo de l’époque. Le groupe fut à l’époque en contradiction avec d’autres auteurs qui étaient plus conventionnels et traditionnels. Si les travaux des membres du groupe de l’an 24 sont considérés comme des classiques, c’est uniquement du a leur révolution narrative, esthétique et de l’influence qu’elles ont eue sur la generation suivante de mangaka qui les ont succédé.
Le collectif Clamp en est un très bon exemple. J’ai également volontairement omis de nommer les autres membres pour ne garder que les 3 plus connus pour nous occidentaux afin de garder une certaine pertinence. Je vous encourage grandement à laisser parler votre soif de curiosité afin de vous pencher sur les travaux de Toshie Kihara avec ses histoires historiques, Ryoko Yamagishi pour ses travaux dans le yuri ou encore Nanae Sasaya est ses mangas occultes et horrifiques.