Classique qui a su s’imposer malgré son côté extravagant, on peut aisément dire que, par son côté atypique, unique et abondant de références pop-culturelles, Jojo’s Bizarre Adventure sort de l’ordinaire, aucun doute là-dessus ! Difficile à résumer tellement elle est dense, cette œuvre d’Hirohiko Araki, considérée aujourd’hui comme une pièce maîtresse d’imagination, n’a pas toujours rencontré le succès escompté. En totale contradiction avec les mangas de l’époque (les années fin 70-début 80), Phantom blood, la saison 1, prémisse de l’œuvre de toute une vie, sortait déjà du lot. Persévérant à faire évoluer ses personnages dans une Angleterre victorienne excentrique quand la plupart des héros de manga étaient japonais, c’est à contre-courant que l’auteur décide de créer une des sagas les plus complètes en termes de références et de narration. Un véritable coup de génie qui permettra à la série de perdurer au travers les années.
Phantom blood, Battle Tendency, Stardust crusader, Diamond is unbreakable, Golden Wind, Stone ocean, Steel ball run, et enfin Jojolion : c’est parti pour une rétrospective de 30 ans !
Un film, une inspiration = une partie Jojo
Je ne pouvais pas ne pas commencer par ce sujet ! Ce qui donne une dimension différente et unique à Jojo, c’est la source d’inspiration dans laquelle la série puise sa thématique. Ainsi, chaque partie, de Phantom blood à Jojolion, prend comme source d’inspiration un classique du grand écran ou de la littérature. Afin de ne pas spoiler la sortie prochaine en anime de la partie 6, Stone ocean, je me contenterais des 5 premières parties de la saga.
Phantom blood
Phantom blood s’inspire énormément de l’oeuvre Dracula, de Bram Stoker. Jonathan Joestar deviendra, à tour de rôle, le héros de l’œuvre et la représentation de Van Helsing, le chasseur de vampires et ennemi juré de Dracula, faisant écho à la rivalité entre Jonathan et Dio avec une vision de deux figures savantes différentes. Ainsi, l’utilisation du savoir est exprimée de la façon suivante : Dracula/Dio n’appréhende la connaissance que comme un moyen de servir ses propres intérêts et s’oppose celui de Jonathan/Van Helsing qui met son savoir au service de l’humanité et qui reste ouvert à toutes les hypothèses, probables ou non. Dans un même ordre d’idée, l’intelligence de Dracula/Dio est surtout empirique, peu inventive et répétitive. Il tire certes les leçons de ses erreurs et perfectionne son modus operandi, ce qui ne laisse pas d’effrayer Jonathan/Van Helsing qui insiste sur le fait qu’il faut se débarrasser du monstre avant qu’il ne devienne réellement invulnérable.
Battle Tendency
Battle Tendency s’inspire d’Indiana Jones et l’Arche Perdue. Dans cette partie, où l’on suit les tribulations de Joseph Joestar, sont repris plusieurs concepts du film. Le manga se pose également dans la même époque, le contexte d’après-guerre, les nazis étant présents dans les deux œuvres. Joseph sera Henry Jones Jr., dit Indiana, tous les deux partageant leur côté intrépide, casse-cou dans des situations peu enviables. La découverte des hommes du pilier figés depuis de longues années sera ce que l’arche perdue est au film, une boîte de Pandore qui aurait dû rester cachée aux yeux des hommes. Suivant toutefois un cheminement assez différent, l’inspiration ne reprendra que l’ambiance du film. Le pilier d’où sortiront les hommes du pilier seront les fléaux issus de cette célèbre boite de Pandore. Une fois libres, nos trois antagonistes devront être stoppées à n’importe quel prix.
Stardust Crusaders
Hirohiko Araki, après ses deux premières œuvres, voulait absolument faire quelque chose de différent. Il voulait trouver son style, ce qui arriverait à le différencier des autres mangaka. L’auteur se confie sur ce manque d’originalité qui le travaillait : « Je n’arrivais pas me voir comme un vrai mangaka, je ne savais pas quel genre de mangaka j’allais devenir ». Son esprit créatif tourmenté, c’est de ce ressenti qu’émergea une toute nouvelle idée : les fameux stands.
Stardust crusaders, dès son concept défini, aura comme source d’inspiration le Tour du monde en 80 jours, de Jules vernes. Ici l’auteur s’émancipera également de pas mal de choses mais gardera le concept de base de l’adaptation cinématographique. Ainsi c’est principalement l’empressement ressenti dans les deux œuvres qui aura la belle part. Dans le Tour du monde en 80 jours, Phileas Fogg est obsédé par cette course contre le temps. De son côté, pressés par l’évolution du stand chez la mère de Jotaro, Holy Joestar, qui lui sape son énergie vitale, Joseph et son petit-fils Jotaro (le héros de l’œuvre) se lanceront dans un tour du monde direction l’Égypte afin de mettre un terme au problème en lien avec le stand de Holy et ainsi sauver la vie de cette dernière. Les deux œuvres auront une finalité très semblable puisque, quand Phileas Fogg arrive quelques secondes avant le temps imparti, il en sera de même pour le manga : la conclusion de l’œuvre se jouera sur le temps.
Diamond is unbreakable
Diamond is unbreakable, apporte une approche un peu particulière par rapport aux 3 autres arcs narratifs. Basé en partie sur la ville natale d’Hirohiko Araki, Sendai, dans la préfecture de Miyagi, servira de base à l’élaboration de la paisible ville de Morioh. C’est également dans cette partie qu’apparaît le personnage fort énigmatique de Rohan Kishibe. Ce personnage un tant soit peu excentrique, mais que nous adorons tous, est la personnification de l’auteur dans son propre manga.
La partie 4 est nimbée de mystère. Inspirée par le film Américain psycho, on suivra, comme dans le film, un mystérieux tueur en série. L’histoire tournant autour de ce concept on suivra, en parallèle des péripéties des héros Josuke, Koichi et Jotaro, les aventures meurtrières d’un homme flamboyant, jeune, beau et intelligent. Ce rôle d’homme parfait, que notre antagoniste porte, lui sied à la perfection. Mais ce qu’il laisse paraître aux yeux d’une tierce personne cache un macabre et inquiétant secret, ce dernier étant un psychopathe doublé d’un tueur en série. À l’abri dans sa confortable et anonyme routine, il tue, kidnappe et démembre ses victimes pour n’en garder qu’une partie.
Golden Wind
Basé sur le classique Scarface, la partie 5 raconte l’histoire d’une petite frappe tout droit sortie de la rue et qui, par tous les moyens, essayera de prendre la place du parrain de la mafia. Ce sera le fil rouge du manga. L’histoire commence avec l’apparition d’une nouvelle drogue qui fait des ravages chez les consommateurs. Luttant contre ce fléau, Giornio se trouvera des compagnons pour rallier sa cause, il cherchera à découvrir l’identité du boss afin de lui tendre un piège et de l’assassiner. Cette course-poursuite mortelle verra nos héros devenir proies et chasseurs à tour de rôle. Cette intrigue fort linéaire mais composée de nombreux rebondissements saura vous tenir en haleine.
La musique comme Stand-art !
ATTENTION SPOILER SUR LES PARTIES 1 À 5
Un des plaisirs de l’auteur est associé intrinsèquement avec la création et les noms dans son manga. Bien que les stands arrivent seulement à partir de la partie 3, Stardust crusaders, l’auteur n’a pas attendu l’apparition de ces derniers pour commencer à mélanger son imaginaire avec la musique, créant de ce fait un folklore de noms de personnages et de stands emplis de références. Mélomane dans l’âme, l’auteur prend un malin plaisir à placer des références musicales dans son manga. Cette manie personnelle de rendre toujours un peu plus son manga unique offre une diversité et une richesse uniques. C’est simple : plus votre culture musicale est large, plus vous serez capable de mettre le doigt sur telle ou telle référence. Afin de faire la lumière là-dessus, reprenons notre précédent schéma, partie par partie.
Phantom blood
La majeure partie des références des deux premières parties Phantom blood et Battle tendency concerne les noms des personnages. Protagoniste, antagoniste, figurant, nom de compagnie, tout y passe. Commençons par le plus charismatique des villains créés à ce jour (oui, c’est totalement un avis subjectif – rires) : Dio Brando, notre villain de service est inspiré du groupe de heavy métal américain Dio. Les sous-fifres à la solde de Dio, Dire et Straizo, sont inspirés du band-rock anglais Dire Straits, Bruford du musicien Bill Buford, le batteur du groupe Yes. Le côté des ” gentils” n’est pas en reste, puisque le surnom Zeppeli est bien éveidemment basé sur le populaire groupe Led Zeppelin, Robert E.O. Speedwagon provient du groupe de rock REO Speed Wagon et Tonpetty, le moine qui apprend l’onde à Antonio Zeppeli, est un clin d’oeil au musicien américain Tom Petty.
Battle Tendency
Pour cette partie, Suzi Q, la futur Madame Joestar, tire son nom du musicien Suzi Quatro et de la chanson Susie Q de Dale Hawkins. Restons dans la famille Joestar et prenons l’exemple de Lisa Lisa qui s’avérera un allié de taille en donnant à nos héros les armes nécessaires, tire son nom du band Lisa and Cult Jam. Du côté de l’intrigue, la fameuse pierre rouge d’Aja au centre de l’intrigue tire son nom de l’album Aja de Steely Dan. Les hommes du pilier respectivement nommés Santana, Wamuu, Esidici et Kars sont des inspirations des groupes Santana, Whami, AC/DC et The Cars.
Stardust Crusader
Avec l’arrivée des stands, l’auteur s’est offert un tout nouveau terrain de jeu. Mais c’est sur les différents personnages que l’auteur se défoulera le plus. Iggy, le célèbre petit chien pug qui a su conquérir le cœur des fans, est inspiré par le musicien Iggy Pop, Jean-Pierre Polnareff est nommé d’après le musicien français Michel Polnareff, Muhammad Abdul a été nommé en référence à la chanteuse américaine Paula Abdul. Tant qu’on y est, parlons également du stand d’Abdul : Magician’s Red possède une attaque qui a pour nom Crossfire Hurricane, nom qui provient de la première phrase “I was born in a cross-fire hurricane” de la chanson Jumpin’ Jack Flash des Rolling stones, Rubber Soul (Rabā Sōru) tire son nom de l’album Rubber Soul des Beatles, Hol Horse est nommé en référence au duo américain pop rock Hail and Oates, Vanilla Ice d’après le rapper du même nom, etc., etc., etc…
Diamond is unbreakable
C’est à partir de la partie Diamond is unbreakable que l’auteur se lâche sur les références musicales liées aux stands. De ce fait, le stand de notre héros Josuke, Crazy Diamond est nommé en référence à la chanson Shine on you crazy diamond de Pink Floyd. Le stand de Koichi, Echoes est nommé en référence à la chanson éponyme de Pink Floyd (encore eux), le stand d’Okuyasu, The Hand est une référence au groupe rock canadien The Band, le stand de Rohan ; Heaven’s door est en lien avec la chanson de Bob Dylan Knockin’ on heaven’s door, le stand Killer Queen de Yoshikage Kira et ses évolutions de pouvoir Scheer Heart Attack and Another bites the dust sont des références aux chansons de Queen. Un petit dernier pour la route ? Le stand d’Akira Otoishi, Red hot chili peppers… je vous laisse deviner 😉
Golden Wind
Dans Golden wind, on garde le même concept : les stands sont à peu près tous des références, musique ou autres, et l’auteur s’en donne à cœur joie. Le stand de Giorno, notre héros aux grandes ambitions voulant devenir parrain à la place du parrain, Gold expérience, est une référence à l’album “The Gold Expérience” du chanteur Prince. Le nom de notre héros est également un clin d’oeil au chanteur italien Giovanni Giorgio Moroder, le stand Sitcky finger de Bucchelatti est nommé selon l’album des Rolling Stones du même nom, le stand de Mista, Sex pistol, est une référence au band rock anglais éponyme, Prosciutto et son stand font écho au groupe rock du même nom, Grateful dead, etc., etc… la liste est encore longue et je pourrais vous en parler longtemps !
Même si je n’ai qu’effleuré la pointe de l’iceberg que représente Jojo’s bizarre adventure, je me dois d’émettre deux vérités absolues ! Premièrement, l’auteur est un mélomane fou qui, dans sa démesure, taquine en permanence le lecteur à rester attentif à chacun de ses gestes, chaque événement, chaque nouvelle rencontre. Deuxièmement, Hirohiko Araki, possède une culture incroyable et c’est sans prétention qu’il met ce savoir au service de son œuvre, créant de facto une deuxième lecture d’une même œuvre ce qui est aussi insolite que riche.
C’est cette richesse qui donne aux mangas d’Hirohiko Araki une simplicité et une certaine complexité qui, ensemble, donnent une œuvre incroyablement bien écrite et maitrisée et une signature unique en son genre.
Pour un auteur qui avait de la peine à trouver sa marque personnelle et à se différencier de ses pairs, on peut dire que c’est une réussite totale !