Icône parmi les plus grands noms du cinéma d’animation nippon, mais aussi du manga, il est considéré comme le meilleur dans son domaine. Connu dans le monde entier, Hayao Miyazaki est un artiste que l’on a plus besoin de présenter. Figure phare des Studios Ghibli, réalisateur de chef-d’œuvres, icône populaire, mais aussi vieux bonhomme bougon, symbole d’une mentalité japonaise vieillissante, enfant marqué par la maladie de sa mère, père absent, Miyazaki est un personnage à part qui n’est pas si facile à cerner. Partons ensemble dans ce nouveau voyage afin d’essayer de décrypter cet homme complexe que nous admirons tous.
De mangaka à réalisateur
Comme nombre de mangaka, Miyazaki est tombé dans le dessin très jeune. Ayant de la difficulté à trouver sa place à cause de sa faible constitution physique et d’une mère malade incapable de le prendre dans ses bras, il a grandi dans une ambiance particulière aux allures de famille monoparentale. Depuis tout petit, Miyazaki veut que les gens se divertissent, voilà sa motivation : “C’est parce que, si je veux divertir les gens, alors peut-être que je mérite d’exister, j’ai ce besoin refoulé au fond de moi de me sentir utile, cela vient sûrement de mon enfance”.
Pour le Maître, il faut travailler sincèrement, sans prétention. C’est un véritable bourreau de travail, et, pourtant, le succès tarde à arriver : début de carrière en 1963, il est enfin reconnu et acclamé pour son travail d’animation sur le Château de Cagliostro en 1979 même si ses idées peinent à percer dans une période où l’intérêt général se porte sur les œuvres de science-fiction.
Vers la fin de la vingtaine, alors qu’il vient de devenir le papa de Gorô, il fait la rencontre de Toshio Suzuki, futur président de Ghibli. Suzuki soumet à Miyazaki un projet de manga qu’il lui propose de publier dans son magazine de l’époque. Miyazaki, qui peine à trouver du travail, accepte malgré ses réticences de se lancer dans la création de Nausicaa. Un an plus tard, Suzuki lui proposera un autre projet : et si on adaptait Nausicaa en film ? Miyazaki pense alors que cette proposition représente sa dernière chance de se lancer dans l’animation et la réalisation. Il accepte donc.
Peu après, une bouleversante nouvelle devient le pivot majeur pour Nausicaa: le décès de sa mère. Absorbé par le projet, il n’a pas pu veiller sur sa mère dans ses derniers moments, et cela impactera grandement la direction que le film Nausicaa prendra. En deuil, il n’en sera que plus déterminé à terminer son film. Il y mettra tout son cœur et toute son âme afin de rendre un dernier hommage à sa mère. A sa sortie, le film sera un succès phénoménal au box-office et permettra à Miyazaki de se faire connaître au Japon. C’est la première marche de son ascension.
Par la suite il continuera à introduire des personnages inspirés par la figure maternelle dans ses films :
- Dans Le château dans le ciel, la pirate Dola a la fougue et des manières viriles de sa mère
- Dans Mon voisin Totoro, la maman veille sur ses deux fillettes enfant tout en luttant contre la maladie
- Sophie, du Château ambulant, est le reflet de la personnalité de sa mère, à la fois douce et gentille.
- Et dans Ponyo sur la falaise, Toki, la vieille dame qui passe ses journées dans son fauteuil roulant, représente la figure maternelle sur la fin de ses jours.
Le succès au bout du pinceau
Bientôt 40 ans après la sortie du film Nausicaa qui l’a propulsé vers la célébrité, Miyazaki travaille toujours avec la même passion. Dans un souci de divertir son public, il essaie de rester le plus fidèle à lui-même jusqu’à pousser son équipe dans ses derniers retranchements. Il se remet constamment en question et désire garder une certaine signature. Pour lui, un film exprime la pensée du réalisateur, que cela plaise ou non : si je cachais ma pensée, j’aurais des remords, je regretterais de ne pas avoir fait un film fidèle à moi-même, et, si je n’étais plus fidèle à moi-même, je ne pourrais plus créer.
Cette attitude perfectionniste est une lame à double tranchant, affutée par l’âge avancé du Maître. Lors de la réalisation de Ponyo sur la falaise, elle lui a joué plusieurs tours : comment arriver à retranscrire le caractère égoïste de Ponyo dans son amour des hommes ? Comment un poisson peut-il aimer les hommes ? Comment Toki, la vieille dame, peut-elle exprimer son amour malgré sa maladie ? Tant de questions qui l’assaillent et le ralentissent dans l’élaboration de ses projets. De plus, il avoue lui-même que l’âge fait ralentir sa productivité !
Sa passion pour l’animation est le moteur qui lui permet de continuer à avancer, à prendre plaisir à la vie de développer encore et encore sa créativité artistique. Mais c’est en même temps un mal qui le ronge puisqu’il s’inflige des dilemmes et des restrictions qui ont un impact considérable sur son humeur, son entourage et son stress. D’après ses équipes, il devient souvent désagréable lorsqu’il cumule le retard et que le stress se fait ressentir.
Cela a pris des proportions hors-norme lors du tsunami de 2011 où les studios Ghibli souhaitaient fermer le studio et reporter le projet sur lequel l’équipe travaillait. Miyazaki a insisté pour garder les délais tel quels. Pour lui, on ne peut en aucun cas interrompre un projet. La réalisation, c’est quelque chose de sérieux !
Cette obstination est incroyable. Il a même déjà décidé deux fois de partir à la retraite 2 fois mais est revenu à chaque fois. La flamme de la création et de la réalisation brûle encore décidément dans son cœur !
L’homme derrière l’icone
Depuis la sortie de Nausicaa, Miyazaki s’est dévoué corps et âme à son travail. Cette dévotion, qui a probablement contribué à sa réussite, peut aussi se révéler problématique. Par exemple, bien que papa-poule dès la naissance de son fils, la charge de travail et l’implication qu’il donne de sa personne aux Studios a été très dure pour Gorô. Hayao Miyazaki, constamment absorbé par ses travaux, dessins et réalisations, a été un père absent pour son fils. Et lorsque Gorô a décidé de se lancer à son tour dans l’animation, son père a exprimé de fortes craintes qu’il ne soit pas assez mature ni prêt la dévotion nécessaire pour ce métier !
En conséquence, pendant longtemps, la relation entre Miyazaki et son fils fut tendue et distante, et ce même s’ils ont travaillé ensemble sur plusieurs projets. Tous deux ont une vision assez différente de la réalisation d’un film d’animation et cela amène pas mal de tension. La popularité de son père représente pour lui un fardeau, une ombre menaçante. Gorô met un point d’honneur à réaliser à sa manière, à se démarquer. Son premier projet en solo, Les contes de Terremer, a été un franc succès au box-office, mais a été jugé trop personnel, et Hayao Miyazaki avoue plus tard que le film relevait plus de l’échec que de la réussite et était trop émotivement lié au passé de son fils.
Ce n’est qu’avec la réalisation de La colline aux coquelicots que Hayao Miyazaki a reconnu un changement chez Gorô. Après plusieurs tensions et après le visionnement, voici ce que Miyazaki a dit : Vas-y, fais-moi peur ! Goro obtenant ainsi la validation de son père.
Mis à part sa relation avec son fils qui reste encore complexe aujourd’hui, Miyazaki est un auteur extrêmement sensible aux enfants et aime s’en inspirer. Par exemple, le caractère de Ponyo reflète celui de la fille d’un de ses assistants, téméraire, aventurière et affirmée. Il en est ainsi pour plusieurs de ses films où les jeunes personnages s’inspirent majoritairement des enfants présents dans son entourage direct.
Mangaka passionné, réalisateur prodige mais un peu trop strict, dévoré par la passion de la création, Hayao Miyazaki dévoile peu à peu ses secrets. Au vu de la sortie presque simultanée de son nouveau film, Le garçon et le héron, et la traduction inédite d’un chef-d’œuvre récemment sorti de ses archives, Le voyage de Shuna, l’occasion était trop belle pour tenter de mieux comprendre l’un des plus grands réalisateurs d’animation de l’histoire. Si d’aventure vous avez l’envie d’en découvrir plus, je vous invite à vous plonger dans ses œuvres manga, Le voyage de Shuna bien sûr, le grands classique Nausicaa de la Vallée du Vent ou encore l’un des magnifiques artbooks sur ses films produits par Ghibli édités chez Glénat, mais aussi d’aller visionner le documentaire sur la vie du Maître disponible gratuitement sur le site officiel de la NHK jusqu’au 21 avril 2026.