Mais qui est Akane Torikai ?
Auteure à succès au Japon mais qui apparaît depuis peu dans les rayons de votre librairie préférée, connaissez-vous cette auteure au style unique ? À 40 ans, la mangaka enchaîne les succès et ses mangas font réagir par leurs thématiques uniques en leur genre. Influencée par Kyoko Okazaki (Tokyo Girl Bravo, River’s Edge), notre jeune mangaka avait lancé sa carrière en 2004 en essayant au possible de suivre la maxime qui, selon elle, ressort le plus des travaux d’Okazaki : dans un domaine dominé par les hommes, ses œuvres doivent représenter une contre-culture et elle doit, par ses travaux, être « capable de rabattre le caquet de ces derniers ».
Vous l’aurez compris, Akane Torikai compte bien suivre les pas de son mentor spirituel et montrer à la société japonaise que les femmes ont définitivement leur place dans le monde du manga. Féministe militante et jamais avare d’entrevues en tout genre, elle n’hésite pas à se livrer sur sa vision du monde, ses doutes ainsi que son travail. Dans une entrevue accordée au Asahi Shinbun, elle avouait : « Ça me désespère de faire l’effort de comprendre ceux qui sont contre le féminisme ». Elle avoue sans problème que si, dans ses plus jeunes années, elle ressentait le besoin de voir son travail validé par des hommes, c’est aujourd’hui d’abord (mais pas exclusivement) pour les femmes qu’elle dessine.
Pour elle, « la création culturelle, ainsi que le vocabulaire qui l’accompagne et qui l’analyse, a trop souvent été créées et pensées par des hommes ». Depuis quelques années, Torikai se dresse contre les codes de la société nippone, représente un véritable typhon balayant tout sur son passage et fait de cette maxime son fer de lance présent dans toutes ses œuvres.
En proie au silence : dénoncer le harcèlement et les inégalités
Lancée en 2013 au Japon, En proie au silence est la première œuvre publiée en volumes reliés de l’auteure. Œuvre extrêmement dure à lire, le manga se penche sur les inégalités profondes entre les femmes et les hommes en refusant de détourner le regard face aux violences sexistes quotidiennes de la société.
Avec cette première série, la mangaka ne ménage pas son public. À sa façon et a l’image de ses convictions, elle met directement les pieds dans le plat et part creuser avec insistance la misogynie ancrée dans les mœurs de la société japonaise.
Mizuku exerce le plus beau métier du monde : elle est une jeune professeure. Entre le désintérêt de ses élèves et la blessure qu’elle porte en elle, elle essaye de se faire une nouvelle vie après avoir subi un viol. Malheureusement, lorsque sa meilleure amie lui annonce ses fiançailles avec son chum Hayafuji, le quotidien de notre jeune professeure prend un autre tournant. Dans une société si inégalitaire, arrivera-t-elle à surmonter cette épreuve ou franchira-t-elle le point de non-retour ?
L’auteure aborde donc un sujet grave et malheureusement encore d’actualité : le chemin de croix que doivent parcourir les victimes après un viol et les difficultés rencontrées. Dans le cas de notre jeune professeure : remise en cause de sa féminité, perte de confiance, peur des hommes, crainte de dire la vérité ou de rester silencieuse…
Saturn return : Une écrivaine en deuil pour un nouveau roman
Dans la liste des mangaka qui influencent Torikai, on retrouve un autre mangaka bien connu : Inio Asano (Bonne nuit Punpun, Solanin). Cela semble logique lorsqu’on sait que les deux auteurs sont mari et femme ! Tous deux n’hésitent pas à partager leurs expériences professionnelles et à s’influencer l’un l’autre sur leurs mangas respectifs. Durant ses vacances, il arrive à Inio Asano de laisser de côté sa veste de mangaka pro pour redevenir assistant auprès de Takane, notamment sur Saturn return où il a dessiné quelques décors. À l’inverse, Akane Torikai est aussi impliquée de temps en temps sur les mangas d’Inio Asano. Elle a, par exemple, dessiné une page couleurs pour Dead dead demon’s dedededestruction.
Dans Saturn return, on reste sur une des thématiques fétiches des deux mangaka : le mal-être des humains au sein d’une société moderne. Toute l’histoire tire sa saveur du propos suivant : comment faire le deuil d’un amour raté ?
Ritsuko Kaji est une écrivaine de roman qui souffre du célèbre syndrôme de la page blanche. En manque d’imagination, elle est inquiète sur son avenir professionnel. Arrivera-t-elle à renouer avec le succès prochainement ? Ou en est-il fini de sa carrière de romancière ? Mais notre héroïne n’est pas au bout de ses peines. Alors qu’une nuit elle rêve de son ancien amour de jeunesse, elle apprend le matin même le suicide de ce dernier. Cette nouvelle va la plonger dans un état de profonde détresse, ce sera la goutte qui fera déborder le vase. Étouffée par sa vie de femme au foyer et par les attentes conjugales de son mari, elle est happée par le souvenir d’un amour qui n’a jamais pu avoir lieu. Elle décide alors, accompagnée de son nouvel éditeur, de confronter la réalité afin d’essayer de faire son deuil. Même si l’effort est respectable, Ritsuko n’était décidément pas prête pour cette réminiscence des sentiments douloureux qu’elle cachait.
Auteure exceptionnelle, Akane Torikai est une mangaka à surveiller de près. Elle n’hésite pas à aborder des thématiques qui sont souvent peu et pas exploitées dans les mangas et, avec les années, la maîtrise du genre s’est faite d’une main de maître. Si vous aimez vous remettre en question sur le bien-fondé de la société ou encore explorer le mal-être humain, les œuvres de Torikai sont à dévorer sans plus attendre. Je vous conseille également You’ve gotta love song (one shot) et Le siège des exilées (série en 2 tomes) qui sont de très bons points de départ pour vous lancer dans les oeuvres de l’auteure. Il va sans dire que la mangaka, encore trop peu connue ici en Occident, en continuant à faire parler, à déranger, marquera l’histoire du manga et nous sommes à la première place afin d’assister à son éclosion.
N’hésitez pas à suivre Akane Torikai sur son twitter personnel : @torikaiakan