Inio Asano.
Ce nom ne vous est probablement pas inconnu.
Vous l’avez probablement déjà entendu sonner au creux de votre oreille lors d’une conversation endiablée. Qui est ce jeune mangaka qui, à 20 ans, faisait déjà parler de lui ? En cette belle soirée de printemps, faisons vibrer nos cœurs poètes et bohèmes à l’unisson, et en route pour l’être et le mal-être nippon.

Un auteur en marge avec lui-même.

Ce qui donne aux histoires d’Asano leur signature, c’est le contraste entre les côtés les plus sombres de l’émotion humaine dans laquelle il sombre souvent et l’art absolument magnifique qui les dépeint. Vous l’aurez deviné : le principal atout du mangaka, outre ses dessins magnifiques, repose dans sa façon de raconter ses histoires.

Ses thématiques fort simplistes au premier abord pourraient en repousser plus d’un, mais le mangaka arrive à parler du quotidien et de la banalité de la souffrance sans jamais aller dans la simplicité, et révèle souvent une plume ingénieuse et évocatrice. Attention tout de même, avec ces histoires il est facile de se laisser sombrer dans une perception du monde qui nous entoure qui peut sembler très crue et pessimiste.

Afin de bien comprendre la subtilité de la narration et l’ingéniosité des scénarios, il est important de savoir reculer avant de mieux s’y plonger. Ce contraste avec lui-même, est une des raisons pour laquelle, les œuvres de l’auteur sont soit adorées, soit évitées, jugées comme trop déprimantes par certains. La raison de cette dissonance d’opinions entre les lecteurs se retrouve en ligne de front comme étant également un des plus grands points fort d’Inio Asano. L’auteur ne nous berce pas d’illusions, et nous annonce directement la couleur : la vie peut être semée d’innombrables embûches, il n’y aura pas toujours une solution tombée du ciel ou une lueur d’espoir au bout du tunnel, mais il est important de poser les gestes pour devenir maître de son destin et améliorer sa propre situation. La vie est une succession d’événements plaisants et non plaisants qui, petit à petit, construisent les personnes que nous sommes.

Cette douce folie scénaristique est tantôt gorgée d’humour absurde propre à ses personnages, tantôt poétique, pessimiste, terrible, la plupart du temps touchante. Inio Asano, de par sa façon d’écrire, a un talent incroyable pour nous montrer les choses telles quelles, sans artifices ni détours.

Des personnages rebelles.

Né et ayant grandi dans une société où la différence est trop peu acceptée, Inio Asano est un mangaka qui dénonce à sa façon la société japonaise.
C’est armé de la maxime de son mentor de plume Yoshiaru Tsuge (L’homme sans talent), trop peu connu en Occident, que l’auteur crée ses personnages : « Ce qui m’a marqué la première fois que j’ai lu les œuvres de Maître Tsuge, ce sont ses héros un peu pitoyables, mais sur lesquels il porte un regard bienveillant. Je me suis reconnu en eux et j’avais l’impression que M. Tsuge me disait lui-même : “C’est ok, tu as le droit d’être comme ça” », raconte Inio Asano.

C’est donc sous une plume bienveillante qu’Asano dépeint une jeunesse, souvent japonaise, en proie avec elle-même. De son aveu personnel : « Je suis devenu mangaka très jeune et je dessinais ce qui était proche de moi, concret, donc des ados », révèle-t-il.

Attachante mais perdue, cette jeunesse lutte face à l’angoisse que le futur peut leur réserver. Acculés par la pression sociale, ces personnages hauts-en-couleur, indécis et souvent bizarres expriment également certains traumatismes difficiles voire qui semblent impossibles à dépasser. Ces personnages imaginés dans une société aux aspects incolores et insipides où on doit trop souvent rentrer dans le rang sous peine de se faire taper les doigts, sont un pivot qui permet à l’auteur d’aborder plusieurs thématiques importantes telle que le passage à l’âge adulte, les premiers amours de jeunesse (Bonne nuit Pun Pun) , l’éveil à la sexualité (La fille de la plage), la foi et le fanatisme qui peut en découler, la différence (Inio Asano anthology), les difficultés de la vie commune (Solanin), du deuil, de la dépression (Errance), de la vieillesse, de l’importance de nos aînées (Inio Asano anthology).

Il est intéressant de prendre un peu de recul vis-à-vis de ses personnages et les transposer au vécu de l’auteur. Ayant commencé très jeune à dessiner, l’auteur dessine souvent des personnages qui lui ressemblent beaucoup. Certaines histoires, sont simplement inspirées du vécu de l’auteur quand d’autres se trouvent être autobiographiques (Errance).
Mais depuis plusieurs années et du haut de ses 40 ans, l’auteur à de plus en plus de misère à assumer l’étiquette du mangaka de la jeunesse japonaise : « J’ai passé l’âge de raconter des histoires de jeunes. Mais j’ai l’impression d’avoir besoin d’atteindre un certain âge pour être convaincant et dépeindre des personnages plus mâtures. Non seulement j’accepte de vieillir, mais je désire vieillir », confie-t-il.

Une amertume éditoriale.

Considéré comme un génie par certains et comme banal par d’autres, il va sans dire que l’auteur a réussi bon gré mal gré à se faire un nom dans le métier. Même si les opinions divergent, force est de constater qu’il est un artiste et un mangaka professionnel accompli, au même titre que ses pairs. Solanin et Bonne nuit Punpun sont probablement les deux séries qui ont été le point de départ de la carrière de l’auteur, ou du moins celles qui lui ont ouvert la porte à la notoriété.

Il est important de considérer Errance, manga autobiographique, comme une des œuvres les plus importantes de l’auteur, ce manga représentant un nouveau départ ! L’oeuvre retranscrit très bien l’état d’esprit actuel de l’auteur et l’idée que celui-ci a de sa carrière et de l’édition en général : « Avec Solanin [l’histoire d’un couple dans la vingtaine qui s’interrogent sur le sens de leur travail et leur épanouissement] et Punpun, j’avais réussi, l’une après l’autre, à faire des séries de longue durée. J’étais donc convaincu que j’avais réussi à trouver la recette du succès. Mais ensuite, Dead Dead Demon DeDeDeDestruction ne s’est pas aussi bien vendu que les autres, j’ai été trop confiant dans mon talent », analyse-t-il aujourd’hui.
De ces quelques mots, ressort une certaine amertume envers l’industrie de l’édition : « Errance me servait de respiration pendant Dead Dead Demon DeDeDeDestruction, car, dans cette dernière, je me plaçais en simple observateur de la société japonaise et je n’avais pas d’espace où m’épancher. Je devais extérioriser une accumulation de ressenti et de vécu personnel. J’y représentais sans honte toutes les idées qui me passaient par la tête. »

Dès lors plusieurs questions nous assaillent : qu’a-t-il envie de dessiner à présent ? Doit-il choisir de se lancer dans un manga qui va se vendre, ce que son éditeur pourrait le pousser à faire, ou dans un projet plus personnel qui lui tient à cœur ? Et pourquoi Asano écrit-il des mangas ? Qu’à t’il encore à dire ?

Ce questionnement et ces quelques mots confessés sont à prendre en considération puisqu’avec Errance il devient dès lors héros de sa propre imagination. L’auteur fait fi des conventions autour de son métier et se met dans la même situation qu’un de ses personnages. Il est fort à parier qu’à l’avenir ses œuvres s’orienteront plus vers des thématiques plus matures et potentiellement plus sombres tout comme l’a été Errance.

Malgré toute la polémique autour de l’auteur, ces œuvres peuvent souvent se révéler complexe voir « difficiles à lire » et sont plutôt réservée à un public dit « averti ». Il n’empêche qu’il faut reconnaître à Inio Asano une certaine audace.
Heureusement pour lui, ses mises en abyme scénaristiques ne sont pas pour déplaire à ses lecteurs, bien au contraire. C’est ce qui lui confère son originalité, sa diversité et son excentricité. Inio Asano est un auteur à découvrir et à redécouvrir. Le manga est loin d’être un support unique destiné à raconter des histoires fictives. Osamu Tezuka était le premier à le dire : « Le manga est un moyen d’expression basé sur les émotions » et Asano l’a très bien compris . Il est, malgré lui, le porte-étendard des laissés pour compte d’une société dans laquelle, comme dit l’expression japonaise « deru kugi wa utareru » , le clou appelle trop souvent le marteau.


Chronique D – 13 avril 2021

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